Toujours plus d’économie circulaire autour du pain

Chaque année, rien qu’en France, 585 000 tonnes de pain finissent à la poubelle, et avec elles les 908 000 tonnes d’équivalent CO2 et les 1,9 millions d’euros qui ont servi à les produire. Heureusement, de plus en plus d’entreprises, de l’agroalimentaire mais aussi de la chimie, voient dans ces déchets une matière première. L’économie circulaire qui en résulte passe souvent par la fermentation.

Le gaspillage du pain, qui représente 13 % du gaspillage alimentaire, est un enjeu à la fois écologique et économique. C’est pourquoi les professionnels concernés – boulangers artisanaux et industriels, supermarchés, restaurants, cantines… – sont à la recherche active de solutions pour mieux valoriser leurs déchets. Et cela tombe bien : il y en aura de plus en plus. Le développement d’une économie circulaire dans l’alimentation est encouragé par la Commission européenne. Le 5 juillet 2021, celle-ci a en effet présenté un Code de conduite européen pour des pratiques commerciales et marketing responsables dans ce secteur. Ce texte, qui s’inscrit dans la stratégie « De la ferme à la table », lancée en mai 2020, fixe sept objectifs pour 2050 : la prévention et la réduction du gaspillage alimentaire, via le développement d’une chaîne alimentaire circulaire optimisée, qui économise les ressources, s’approvisionne de manière plus responsable, crée de l’emploi et de la valeur, sans porter atteinte au climat et à la santé des citoyens.

Réduire encore le pain perdu

La prévention des déchets n’est pas un concept nouveau dans les boulangeries artisanales et les restaurants. Quand ils le peuvent, les professionnels valorisent leur pain sec en croûtons, chapelure, bruschettas, boulettes, farces, pain perdu ou puddings. Si une collecte est organisée, ils en donnent à des associations caritatives, des élevages voisins ou des refuges pour animaux. Mais cela ne suffit pas toujours à valoriser ce qui leur reste chaque soir sur les bras, encore moins à absorber ce qui est mis au rebut par les boulangeries industrielles et les grandes surfaces.

La difficulté réside dans la quantité de déchets de pain à écouler, dans la rapidité avec laquelle il peut durcir, mais aussi – et surtout – dans les contraintes sanitaires qui s’imposent à ce type de produits. En effet, si les conditions de stockage ne sont pas optimales, des moisissures peuvent apparaître. Des spores de bactéries peuvent aussi avoir résisté à la cuisson, se réactiver et libérer des toxines.

Faire du pain neuf avec du vieux, la boucle est bouclée

Pour les raisons évoquées ci-dessus, les boulangers n’ont pas le droit de faire tremper le pain de la veille pour le réintroduire dans la pâte du jour. En revanche, ils peuvent désormais le transformer en farine. Un bureau d’études spécialisé dans le gaspillage alimentaire, Expliceat, a mis au point une machine, le Crumbler, qui permet déjà à plus de 150 artisans français de transformer chaque soir, sur site, leurs surplus de pain en farine. Avec l’aide de deux laboratoires d’analyse microbiologique et de l’Ademe (agence française de la transition écologique), l’entreprise a rédigé en complément un Guide de maîtrise sanitaire, visant à garantir un recyclage en toute sécurité. Il a aussi élaboré une cinquantaine de recettes de pains et de gâteaux adaptées. En effet, bien qu’elle soit aussi nutritive que la farine classique, la farine de pain n’offre pas exactement les mêmes propriétés en termes de goût et de texture.

Mais c’est aussi par le biais de la fermentation lactique que le pain s’offre une nouvelle vie. Les boulangeries industrielles et les supermarchés cherchent à recycler leurs rebuts de production et leurs invendus en mettant au point une nouvelle génération de levain à base de « vieux pains ». L’idée étant de substituer dans la recette du levain une partie de la farine par du pain, celui servant de nouveaux substrats de fermentation. Des études auraient d’ailleurs montré que cette voie de recyclage n’aurait pas d’impact sur la contamination microbienne des pains. L’acidité conférée par le levain au nouveau pain ayant même un effet positif sur sa conservation.

Bières, plastiques… La fermentation du pain trouve des débouchés inattendus

Le retour en grâce de boissons fermentées oubliées a aussi offert d’autres voies de salut au pain sec. Le Kvas, par exemple, boisson pétillante et légèrement alcoolisée réalisée à partir de pain fermenté, commence à refaire parler de lui. Il était déjà bu en Égypte 3 000 ans avant notre ère, mais ces derniers siècles il n’était plus consommé qu’en Russie et dans les pays baltes.

Autre boisson ancienne en plein revival : la bière au pain rassis, relancée depuis quelques années par des entreprises comme Toast Ale à Londres, le Brussels beer project à Bruxelles ou Draw Your Beer à Lille. S’inspirant d’une recette héritée de l’Antiquité, ces brasseurs récupèrent le pain non consommé des restaurants de leur ville pour en faire de la bière. Leur démarche permet non seulement d’économiser des céréales et l’énergie nécessaire à leur acheminement, mais aussi de créer de la valeur sur leurs territoires : les matières premières sont très locales, tout comme leurs points de distribution. Ils ont d’ailleurs fait des petits, en Angleterre, aux États-Unis, en Afrique du Sud… jusqu’au Baking Center™ de Lesaffre de Marquette (59). En collaboration avec Fermentis et un brasseur belge, celui-ci a en effet élaboré son propre process pour remplacer un tiers du malt de la recette de bière traditionnelle par le pain non consommé issu de ses essais. Les bouteilles obtenues, brassées à moins de 25 mètres du centre et portant la marque « Pinte perdue », est en passe de devenir l’un des goodies préférés de nos clients.

Une bouteille de bière au pain, c’est 3 tranches de pain sec revalorisé, 14 litres d’eau économisés, l’énergie nécessaire à 3,14 heures d’éclairage de votre salon sauvée.
Florence Delchambre
Knowledge Manager Officer chez Lesaffre

Le pain sec est aussi du pain béni pour l’économie sociale et solidaire. Des entreprises d’insertion, comme Ondaine Agro dans la Loire, et des associations comme CIPRES dans le Pas-de-Calais, se sont ainsi lancées dans la collecte des pains invendus de boulangeries et de supermarchés sur leurs territoires, pour recyclage. Elles les trient, retirent ceux qui sont moisis, tranchent les autres, les font sécher et les broient pour obtenir un aliment de substitution aux céréales, moins cher que le blé mais tout aussi nutritif, pour les ruminants, porcs et volailles.

Plus surprenant, le pain sec commence à être envisagé comme une matière première par l’industrie chimique, à la recherche de substituts aux énergies fossiles. Parmi les débouchés les plus avancés : la synthèse de biopolymères plastiques, comme l’acide polylactique (PLA), à partir de pain sec soumis à une fermentation enzymatique. L’idée a été testée avec succès à l’échelle préindustrielle par un consortium d’acteurs coordonné par l’Association espagnole de recherche sur les matériaux plastiques et connexes (AIMPLAS) et elle a fait ses preuves. Le secteur de l’énergie s’intéresse quant à lui à la méthanisation du pain, ou encore à sa fermentation en bioéthanol. Les pains invendus pourraient également servir de substrat à la production d’hydrogène, là encore par fermentation.

Cet aliment ancestral, consommé depuis des siècles, n’en finit pas de nous surprendre.