Depuis l’antiquité, la levure fait preuve de ses bienfaits dans de nombreux domaines, dont celui de l’alimentation humaine. « C’est un ingrédient alimentaire naturel capable d’apporter de la saveur aux plats, relate le responsable R&D. Il présente à la fois une complexité biochimique, reflet de toutes les molécules organiques, et gustative ». La levure fraîche présente un « goût fermenté, évocateur de la viande ». La levure sèche est davantage sucrée et douce en bouche : elle évoque « le goût de la châtaigne ». Quant à la levure qui a subi une lyse, elle est capable d’émettre une multitude de saveurs, en relarguant différents métabolites : des sucres, et des acides aminés libres ou associés entre eux (peptides). À l’instar des animaux de bouche dont le goût de viande varie selon la nature de l’alimentation (herbe, fourrage, aliments préparés), le substrat de la levure, que ce soit du sirop de glucose pur, de la mélasse de betterave, ou de la canne à sucre, influera grandement sur les saveurs qu’émettront ensuite les extraits de levure.
« Chez Lesaffre, nous disposons d’une collection de près de 10 000 levures dans notre souchothèque, précise Rudy Menin. Cette diversité génétique, associée à la variété des substrats sur lesquels nous cultivons ces levures, aux procédés fermentaires employés pour les faire se multiplier, et s’autolyser, ainsi qu’aux post-traitements utilisés comme la filtration, nous permet de générer plus de 3 000 sortes de peptides différents ». Une diversité protéique extraordinaire qui permet d’obtenir des goûts aussi divers que celui de la viande blanche, de la viande rouge, des légumes, du fromage, ou de la cuisson (barbecue, goût grillé).
Des extraits de levure pour décupler les saveurs alimentaires
Employé en cuisine, l’extrait de levure améliore le goût des plats, et décuple les saveurs, comme le font les herbes ou les épices. « Un équilibre rond, ample et complexe à trouver », afin que les consommateurs en quête d’authenticité soient satisfaits. « Les clients tendent de plus en plus à s’éloigner des aliments au goût standardisé, indique le spécialiste. Ils souhaitent retrouver les plaisirs d’antan jugés supérieurs d’un point de vue gustatif et qualitatif, et sont à la recherche du ‘fait maison’ ».
Si tous les mécanismes d’action ne sont pas encore connus, les possibilités qu’offrent les extraits de levure en termes de saveurs sont innombrables. « Récoltés, les extraits de levure présentent déjà des goûts bien caractéristiques, qui peuvent encore dériver vers une saveur finale lorsque nos clients les incorporent dans la formulation de leurs produits. » Une véritable réaction chimique se met en place, pouvant aller de la saveur bœuf bourguignon au goût poulet grillé, en passant par des saveurs fruitées comme la pomme ou la banane dans les bières, et par des goûts plus relevés et épicés, comme les saveurs clous de girofle ou poivre dans les soupes et les sauces. « Nous arrivons à intensifier le goût des aliments, et à accentuer l’effet umami en augmentant la perception du goût sur les récepteurs », détaille Rudy Menin. « Nous sommes aussi capables de moduler le goût en éliminant la réminiscence (le résiduel de goût perçu négativement), tel que les notes métalliques ou l’amertume, ajoute-t-il. Et nous pouvons aussi reproduire l’aspect filmogène de la matière grasse avec des extraits de levure, afin de retrouver l’onctuosité des aliments et éviter la fugacité de leur goût. »
Combiner le goût avec une alimentation plus saine
Ainsi, en incorporant des extraits de levures spécifiques au produit final, il est possible de réduire l’apport en matières grasses, sans que le consommateur ne ressente de baisse de perception de goût sur le produit. De même, il est possible de diminuer de 20 à 40 % la teneur en sel des aliments avec d’autres extraits de levure, tout en renforçant la sapidité des aliments. « Nous pouvons également maintenir une sensation sucrée, alors même que la teneur en sucre est réduite, ou masquer les notes d’arrière-goût typiques associées aux édulcorants à base de stévia », souligne Rudy Menin. À la clé, une alimentation plus équilibrée, plus saine, mais tout aussi appétissante et savoureuse, qui demeure source de plaisir.
Des innovations alimentaires à base d’extraits de levure
Afin de répondre toujours davantage aux attentes de ses clients, Lesaffre a mis en place des Culinary Center, au sein desquels une cuisine expérimentale et innovante est déclinée. Ces lieux sont dédiés aux formulations de nouveaux produits de levure, à l’optimisation régionale des recettes, mais également à la réponse concrète à apporter aux demandes des clients. « Actuellement, nous avons de fortes demandes de goûts viandés au sein de recettes végétariennes, saveurs qui apporteraient une satisfaction psychologique aux consommateurs, en référence à notre nourriture depuis la nuit des temps, souligne Rudy Menin. Nous travaillons également sur la structuration des protéines de levures, et sur leur texturation, afin d’aboutir à une solution très nutritive qui se rapprocherait du steak végétal et que nous pourrions agrémenter par exemple de goût de poulet avec des notes aromatiques ».
De nombreuses directions restent encore à explorer. La synergie entre bactéries et levures en est une, qui devrait décupler encore davantage la richesse des saveurs générées par Lesaffre. Et Rudy Menin de conclure : « Plus nous emmagasinons de connaissances et plus nous ouvrons des portes vers des concepts gustatifs plus subtiles qui nous conduiront indéniablement vers d’autres portes à ouvrir ».
Qu’est-ce que le goût ?
À l’inverse des autres sens, le goût exige l’introduction en soi d’une parcelle du monde. La qualité gustative de l’aliment découle de sa solubilisation par la salive, puis de la lubrification et du « dépôt » des molécules alimentaires sur la langue. Des récepteurs spécialisés du goût situés dans les cellules gustatives des papilles détectent ensuite les cinq saveurs existantes : le sucré, l’amertume, l’acidité, le salé et l’umami. « L’umami provient de la culture japonaise. C’est une impression de rondeur en bouche qui accentue toutes les autres saveurs, décrit Rudy Menin, responsable R&D chez Lesaffre. Elle joue souvent un rôle essentiel dans le maintien de l’appétit des personnes âgées ».
À ces cinq saveurs, s’en ajoute une sixième : le kokumi. Il apporte une sensation d’onctuosité, améliorant le goût des aliments faibles en graisses. « C’est cette impression que procurent les aliments cuisinés très longtemps à basse température », renchérit Rudy Menin, qui conclut : « le goût est une association de toutes les saveurs avec une impression de plénitude, de longueur en bouche et de complexité, qui amplifie la perception de la texture alimentaire ».