Les bactéries sont de simples procaryotes, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas de noyau et ne possèdent qu’un seul chromosome, alors que la levure en possède 16 ou l’Homme 46. Pourtant si simples, elles sont considérées comme le berceau de la vie. Les bactéries sont apparues il y a 3,8 milliards d’années, alors que les humains ne sont apparus qu’il y a 200 000 ans ! Championnes de l’adaptation, les bactéries ont survécu et prospéré dans une grande variété d’environnements, des profondeurs de l’océan aux plus hauts sommets des montagnes, dans le désert… Imaginez leurs supers pouvoirs… Elles peuvent subsister dans des environnements extrêmes, très froids, très chauds, très acides et très salés. Indispensables à la survie des végétaux et des animaux, elles entretiennent avec eux une relation symbiotique. Elles nous ont d’ailleurs largement colonisé et ont appris à vivre avec nous, dans tout notre corps – aussi bien à l’extérieur qu’ à l’intérieur et constituent un microbiote unique et spécifique pour chacun d’entre nous. Notre santé est d’ailleurs étroitement liée à notre microbiote intestinal : ces milliards de bactéries qui nous aident à digérer les aliments, à produire des vitamines et d’autres nutriments essentiels, à nous protéger contre les agents pathogènes dangereux, à entraîner et à contrôler notre système immunitaire (70 % de notre immunité dépend de notre microbiote intestinal) et même à impacter notre humeur puisque notre intestin est considéré comme notre deuxième cerveau, incroyable non ?
Les bactéries des communicantes de génie
Dans le monde moderne, la communication en réseau est devenue un élément essentiel de notre vie quotidienne. La possibilité de se connecter à d’autres personnes dans le monde entier, de communiquer instantanément et de partager des informations a transformé notre façon de travailler, d’apprendre et de sociabiliser. Et si on vous disait que les bactéries sont des maîtres de la communication, qu’elles ont développé un grand réseau de communication pour coordonner leurs activités et prospérer dans leur environnement. La communication des bactéries est connue sous le nom de quorum sensing, un processus au cours duquel elles libèrent de petites molécules ou des peptides de signalisation dans leur environnement visant à coordonner des activités données.
En effet, lorsque ces molécules s’accumulent et atteignent un certain seuil elles déclenchent un changement de comportement tel que la formation d’un biofilm ou l’expression d’un facteur de virulence. Les bactéries ont mis en place différents systèmes de sécrétion qui peuvent se révéler utiles pour leur communication mais aussi pour d’autres usages étonnants. Pourquoi ne pas les utiliser demain pour transporter des médicaments ? La capacité des bactéries anaérobies à coloniser des environnements dépourvus d’oxygène a par exemple inspiré des chercheurs dans la lutte contre certains cancers. Des bactéries anaérobies transformées comme « taxis » de médicaments pourraient venir délivrer des agents toxiques au niveau de la tumeur solide(1). Elles viendraient en appui des traitements conventionnels, comme la chimiothérapie ou l’immunothérapie.
Innover pour la vie
Lorsqu’il est question d’innovation et de créativité, il est parfois utile de s’inspirer de la nature. L’Homme a encore beaucoup à apprendre des bactéries. Savez-vous pourquoi ? Tout simplement parce que le génie des bactéries réside dans leur incroyable capacité à constamment évoluer et à innover. Elles perfectionnent leurs compétences depuis des milliards d’années et peuvent donc créer efficacement de nouvelles solutions pour survivre ! En d’autres termes : l’innovation est une question de vie ou de mort pour les bactéries ! Elles ont par exemple développé l’aptitude de créer des biofilms composés de matériaux à base de biopolymères aux propriétés fascinantes et capables de protéger les colonies face à un environnement hostile. Motivés par la polyvalence et la robustesse des biofilms bactériens, des chercheurs explorent des méthodes pour tirer parti de ces caractéristiques afin de développer des matériaux vivants innovants, utilisant des bactéries, pour diverses applications industrielles.
Etonnant aussi ce kit imaginé par des chercheurs pour restaurer à tout moment des bactéries bioluminescentes, source naturelle d’énergie lumineuse (visible même par des satellites(2) !). Cette solution de lumière biologique pourrait remplacer certains produits ayant un cycle de vie court, comme des balisages lumineux, des décorations nocturnes, la signalétique de bateaux.
Les bactéries au service d’une alimentation durable
Manger est vital et c’est aussi un plaisir. Les premières utilisations connues des bactéries par l’Homme ont été la conservation des aliments. Les aliments fermentés tels que le yaourt, le fromage, le kéfir, le kimchi, la choucroute font partie de l’alimentation humaine depuis des milliers d’années. Ce n’est que récemment que l’on s’est intéressé à la biodiversité bactérienne de ses produits fermentés. Ils sont aujourd’hui parés de nombreuses vertus nutritionnelles et de santé, notamment grâce à l’activité probiotique de certaines bactéries mais aussi via les molécules d’intérêt produites lors de la fermentation. Ce processus à la fois simple et durable permet par ailleurs de transformer les végétaux (légumes & légumineuses) en diversifiant les goûts et les textures et en les rendant parfois plus digestes. Il est même aujourd’hui possible de produire de la biomasse bactérienne consommant notamment du CO2 et de l’hydrogène pour en récupérer les précieuses protéines (jusqu’à 70 %), alternatives aux protéines animales(3). Valorisation nutritionnelle de notre alimentation et décarbonation, deux atouts d’avenir pour l’humanité…
Notre alimentation est bien entendu indissociable de l’agriculture. Certains articles provocateurs mentionnent que pour nourrir les quelque 9 milliards d’êtres humains en 2050, nous aurions besoin de deux planètes Terre ! Dans un contexte de changement climatique, comment encore augmenter les rendements des cultures, lutter contre les maladies des plantes tout en préservant l’environnement ? L’équation est complexe mais parmi les solutions, les bactéries ont montré qu’elles pouvaient jouer un rôle dans le biocontrôle et la bionutrition. Elles peuvent contribuer à augmenter le rendement des cultures et à réduire le besoin de pesticides et d’engrais nocifs. Elles peuvent également aider les plantes à absorber plus efficacement les nutriments du sol et moduler son microbiote afin d’accroître la résistance des plantes au stress et d’améliorer leur immunité.
Des dépollueurs de génie
Le traitement des eaux usées est devenu une question cruciale en raison de l’augmentation de la population humaine et de la demande d’eau propre. Les bactéries ont la capacité naturelle de décomposer et de métaboliser les déchets et les polluants, ce qui constitue un moyen efficace et durable de traiter les eaux usées. C’est pourquoi, les bactéries sont au cœur du fonctionnement de nos stations d’épuration.
Elles interviennent également dans les processus de décontamination de sols pollués ou de nappes phréatiques, on parle alors de bioremédiation. Suivant le type de polluants et leur complexité (hydrocarbures, métaux lourds, pesticides…), seront utilisées des bactéries spécifiques qui auront la charge de transformer les substances chimiques toxiques en substances moins toxiques. Lors d’une marée noire, des bactéries ont été capables d’engloutir 200 000 tonnes de pétrole et de gaz dissous ! Et saviez-vous que l’on peut utiliser des bactéries pour dépister des substances nocives ? Baptisées « bioreporters », ces bactéries sont souvent modifiées pour pouvoir émettre un signal rapidement identifiable, tel qu’une coloration, une fluorescence ou une bioluminiscence, dès qu’elles rentrent en contact avec la molécule chimique(4).
L’histoire ne s’arrête pas là car les récents progrès réalisés dans les sciences et technologies, comme les sciences omiques, les nouvelles techniques d’édition du génome ou les méthodes de séquençage de nouvelle génération permettent de mieux comprendre la complexité du vivant et de créer des bactéries aux propriétés inédites afin de répondre aux enjeux présents et futurs. D’autre part, de nombreuses applications émergentes comme la capture et la valorisation du CO2 ou la dégradation des plastiques grâce aux bactéries participeront à un monde plus durable.
Comme vous le voyez, les bactéries parfois méconnues voire mal aimées en tant que pathogènes peuvent faire beaucoup pour l’humanité et ces quelques exemples ne sont qu’un bref aperçu de leur infini potentiel.
- https://cordis.europa.eu/article/id/248956-bacteria-recruited-for-cancer-therapy/fr
- https://www.ird.fr/sites/ird_fr/files/2023-10/2%20-%20Fiche%20solutions%20bioluminescence.pdf
- https://agfundernews.com/meet-the-founder-solar-foods-pasi-vainikki-on-decoupling-food-production-from-agricultural-land-the-fermenter-is-like-a-big-sodastream
- https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fbioe.2021.622994/full