Procédé alimentaire vieux de plusieurs milliers d’années, la fermentation a plus que jamais le vent en poupe. Les consommateurs ne jurent plus que par l’authenticité des pains au levain, des fromages fermiers et des bières artisanales. Ils redécouvrent les bienfaits du tofu, de la choucroute et du kimchi, quand ils ne produisent pas eux-mêmes leurs propres kombuchas et kéfirs. Les produits fermentés, réputés pour la santé, colonisent les rayons des supermarchés. Et cette tendance n’est pas près de s’arrêter. La fermentation aurait même encore un grand potentiel d’innovation, comme nous l’explique Mickaël Boyer, responsable du département Discovery & Front End Innovation.
Selon vous, la fermentation sera au cœur de l’alimentation du futur. Pourquoi ?
Mickaël Boyer : La fermentation apporte de la saveur et permet une bonne conservation des aliments, sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter des additifs. Les produits qui en résultent sont réputés bons pour la santé. Les ferments apportent des protéines non animales, ils sont parfaits pour accompagner des régimes moins carnés. En outre, la culture des ferments peut s’insérer dans une économie circulaire : chez Lesaffre, par exemple, la plupart des levures sont cultivées sur de la mélasse, un coproduit du sucre de betterave, et les dérivés de leur fermentation servent d’engrais pour l’agriculture. Tout cela explique les nombreux espoirs portés sur cette méthode ancestrale de préparation des aliments : elle est un moyen d’accélérer la transition vers une alimentation plus saine, plus sûre et plus durable.
L’INRAE et l’ANIA ont lancé en décembre 2022 le Grand Défi « Ferments du futur », dont Lesaffre est partenaire. Quel est l’objectif de cette initiative ?
M. B : Ce programme de recherche-innovation a été lancé dans le cadre de France 2030, la stratégie d’investissement de l’État visant à renforcer la compétitivité des secteurs industriels français les plus stratégiques. Il réunit une trentaine de partenaires publics et privés, dont Lesaffre, décidés à lever les verrous scientifiques et technologiques qui ralentissent l’innovation dans le domaine des ferments alimentaires. Nous mettons en commun nos expertises et infrastructures afin de mieux comprendre les mécanismes de la fermentation, puis de développer de nouveaux produits fermentés, à base notamment de céréales, de légumineuses, de fruits et de légumes. Cela devrait contribuer à « végétaliser » notre alimentation et à renforcer sa durabilité, tout en réduisant le recours aux additifs.
Qu’en attendez-vous chez Lesaffre ?
M. B : Notre groupe, qui a toujours été spécialiste de la fermentation, est déjà impliqué dans cette transition alimentaire. En témoignent certaines de nos récentes innovations : les levures développées par Fermentis pour la production de bières sans alcool ou à base de pains rassis ; les levures nutritionnelles de Gnosis, d’autant plus prisées des végétariens qu’elles peuvent être crunchy ou enrichis en vitamines ; les protéines de levures Proteissimo 101 de Springer, contribuant à la formulation de substituts de viande et de fromage ; ou encore les mix Ennallin d’Ennolys, qui apportent suffisamment de goût aux préparations industrielles qu’il est possible de réduire la teneur en sucre, gras ou sel de ces plats ou gâteaux. En participant au programme « Ferments du futur », nous profitons d’infrastructures complémentaires aux nôtres, ainsi que d’un réseau d’experts, pour travailler sur des solutions fermentées qui pourraient accélérer la réponse apportée par nos clients industriels aux attentes des consommateurs.
Par exemple ?
M. B : Nous travaillons notamment sur les fermentations complexes, associées non pas à un ou deux microorganisme(s) comme dans le pain ou le yaourt, mais à plusieurs. Les kombuchas et kéfirs, par exemple, sont produits par des microbiotes complexes, composés de plusieurs dizaines de levures et bactéries différentes. Cela rend difficile la maîtrise du résultat final. Notre défi est de comprendre comment fonctionne cette flore, comment elle évolue avec son substrat, comment on pourrait la reconstituer puis la stabiliser en vue d’une production industrielle, à grande échelle. L’enjeu est de pouvoir donner accès au plus grand nombre à ce type de produits, avec la même qualité gustative que s’ils étaient produits par un artisan.
Le Grand défi Ferments du Futur, c’est :
– Une coordination par l’INRAE et l’ANIA,
– Un comité d’orientation stratégique (COS) chargé de piloter le programme et de contribuer à son fonctionnement opérationnel et financier,
– Une trentaine d’acteurs : 6 établissements d’enseignement supérieur et de recherche et notamment 7 unités de recherche spécialisées dans la microbiologie, les procédés de transformation alimentaire et la science des données ; 21 entreprises parmi lesquelles 8 start-up, 7 TPE/PME/ETI, 6 grands groupes et 7 membres associés (syndicats, Interprofessions, instituts techniques, pôles de compétitivité),
– Un financement à hauteur de 48,3 M€ par France 2030,
– Une plateforme d’innovation destinée aux projets plus matures installée sur le plateau de Saclay à partir de fin 2023. Des projets de recherche dans le cadre d’appels à projets, dotés d’une enveloppe annuelle de 1,5 millions d’euros, dont le premier sera lancé début 2023 afin de sélectionner 5 à 7 projets précompétitifs ciblant des priorités stratégiques. Les premiers résultats sont attendus d’ici fin 2024.