Les interactions entre micro-organismes et changement climatique

À l’ère de l’Anthropocène, le changement climatique, attribué aux émissions de gaz à effet de serre (GES) engendrées par les activités humaines, provoque une altération de la composition de l’atmosphère de la planète et impacte de nombreuses formes de vie sur Terre. Les effets du changement climatique sur les processus macroscopiques sont bien documentés. Aujourd’hui, les scientifiques insistent sur l’importance de comprendre les liens entre micro-organismes et changement climatique. En effet, les micro-organismes jouent un rôle central dans la biologie des changements climatiques et dans l’équilibre des écosystèmes. Comment affectent-ils le changement climatique ? Sont-ils eux-mêmes impactés par le dérèglement climatique ? Peuvent-ils faire partie de la solution pour réduire et résister aux effets négatifs du changement climatique anthropique ?

Les micro-organismes : une omniprésence de la “majorité invisible

Les micro-organismes sont définis comme un groupe de formes de vie microscopiques comprenant les bactéries, les archées, les protozoaires, les microalgues, les champignons (levures et moisissures) et les virus.

Les micro-organismes sont apparus sur Terre il y a plus de 3,8 milliards d’années et ont colonisé tous les milieux : l’air, les sols, les océans et même les environnements extrêmes (déserts glaciaires, sources chaudes, fonds océaniques, milieux hypersalés, roches du manteau terrestre…). L’omniprésence, l’abondance et la diversité des micro-organismes témoignent de leur adaptabilité et de leur importance dans le maintien de l’équilibre des écosystèmes.

Les micro-organismes jouent un rôle essentiel dans les cycles biogéochimiques tels que le cycle du carbone, de l’azote ou encore du méthane(1).

Ainsi, pendant des millions d’années, le cycle du carbone, c’est-à-dire les flux entre les différents réservoirs de carbone que sont l’atmosphère, la biosphère (et les sols), l’hydrosphère (essentiellement les océans) et la lithosphère (les roches), étaient parfaitement régulés. Mais, depuis 1850 et le début de l’ère industrielle, cet équilibre est rompu conduisant aux changements observés dans le système climatique.

Les activités humaines comme l’exploitation des combustibles fossiles (pétrole, charbon, gaz), la fabrication du ciment, la déforestation, l’élevage des ruminants ou encore l’utilisation d’engrais azotés entraînent une augmentation de la concentration des gaz à effet de serre (dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4), oxyde nitreux (N2O)) dans l’atmosphère ce qui amplifie le phénomène d’effet de serre. La Terre reçoit alors davantage d’énergie qui provoque une augmentation de la température globale.

Le changement climatique affecte les micro-organismes

Les micro-organismes sont eux aussi affectés par le changement climatique. “C’est difficile de s’inquiéter pour les micro-organismes parce qu’on ne les voit pas. Mais on interagit avec eux tous les jours et ils sont cruciaux pour toutes les formes de vie sur la planète”, souligne Ricardo Cavicchioli, professeur à l’École de biotechnologie et de sciences biomoléculaires (BABS), à l’université de Nouvelle-Galles du Sud (Australie).

En 2019 au sein de la revue Nature(2), plus de 1700 biologistes ont tenu à avertir des répercussions majeures sur l’ensemble du vivant d’un bouleversement de la flore microbienne terrestre sous l’effet du changement climatique.

Le changement climatique peut effectivement :

  • influencer la structure, la diversité et la composition, les fonctions et la répartition des communautés microbiennes ;
  • perturber les interactions entre les espèces les forçant à s’adapter, se déplacer, être remplacées par d’autres espèces ou disparaître.

Des modifications de l’environnement des micro-organismes (température, acidification, niveaux de CO2…) peuvent entraîner des perturbations des écosystèmes qui dépendent d’eux.

Les pratiques agricoles peuvent aussi affecter les communautés microbiennes de manière spécifique. Les sources de pollution comme les engrais perturbent par exemple la composition et la fonction des communautés microbiennes, altérant ainsi les cycles naturels de transformation du carbone, de l’azote et du phosphore.

Aujourd’hui, la diversité microbienne du sol tend à diminuer ce qui impacte le potentiel fonctionnel des communautés microbiennes, notamment dans le soutien de la croissance des plantes. Rappelons que les plantes jouent un rôle clé dans l’absorption du CO2.

Les conséquences sont visibles au sein même des océans riches en micro-organismes.

Citons le phytoplancton, par exemple, qui est composé de microalgues et de bactéries photosynthétiques appelées cyanobactéries. Grâce à la photosynthèse, il produit plus de la moitié de l’oxygène terrestre et consomme la moitié du CO2. De plus, il est le premier maillon de la chaîne alimentaire dans l’écosystème marin. Des chercheurs du Massachusetts Institute of Technology(3) (MIT – États-Unis) notent une baisse de 10 % de la productivité du phytoplancton dans l’Atlantique Nord depuis le début de l’ère industrielle. Ce déclin du phytoplancton qui coïncide avec la hausse des températures à la surface des océans va affecter toute la vie océanique.

De la même manière, l’acidification des océans, qui correspond à une diminution du pH de l’eau de mer par augmentation de CO2 dissous sous forme d’acide carbonique, est préoccupante. Elle a la même origine que le réchauffement à savoir les émissions anthropiques de CO2. L’acidification de l’eau fait baisser la concentration océanique en carbonates de calcium. Or, les carbonates de calcium sont indispensables à de nombreux organismes marins pour la fabrication et le maintien des squelettes des espèces planctoniques, des coraux, des enveloppes minérales des oursins et des coquilles des mollusques. Là encore, l’ensemble de l’écosystème marin est impacté.

La combinaison des facteurs climatiques anthropiques constitue réellement une menace majeure pour les récifs coralliens. Selon le GIEC(4), un réchauffement de 2°C du climat global pourrait ainsi faire disparaître plus de 99 % des récifs coralliens d’eaux chaudes d’ici la fin du siècle. Or la disparition des coraux déclenche une cascade d’effets délétères qui vont de la perte de la biodiversité des écosystèmes marins aux nuisances pour la santé humaine en passant par les problèmes économiques(4).

Les micro-organismes ont un impact sur le changement climatique

La relation entre les micro-organismes et le changement climatique est à double sens car dans le cadre de processus naturels, ils produisent et consomment les 3 principaux gaz responsables de 98% du réchauffement climatique : dioxyde de carbone, méthane et oxyde nitreux(5).

L’augmentation des activités humaines amplifie aujourd’hui la production de GES par les micro-organismes via 3 principaux processus microbiens impliqués :

  • la respiration hétérotrophe qui produit du CO2,
  • la production de méthane par des bactéries méthanogènes qui convertissent le CO2 en méthane (métanogénèse) dans les environnements anaérobies, tels que les zones humides, les rizières et le tube digestif des ruminants,
  • la dénitrification qui produit notamment du N2O, un gaz toxique responsable de l’eutrophisation et du caractère acidifiant des pluies. La dénitrification des sols est amplifiée par l’utilisation excessive des engrais azotés.

Selon une étude(6) réalisée par Alon Nissan et al., en 2023, le réchauffement climatique accélère la respiration hétérotrophe du sol. La respiration hétérotrophe correspond au processus de décomposition des matériaux organiques (bois, branches, brindilles, végétaux, animaux morts, excréments) dans le sol par les micro-organismes qui libèrent alors du CO2 dans l’atmosphère. Les chercheurs ont observé que si la température du sol augmente, les émissions microbiennes de CO2 augmentent aussi, indépendamment de la zone climatique.

Des phénomènes amplificateurs du réchauffement climatique comme l’augmentation du dégel du permafrost (20% de la surface de la terre) intensifient encore plus le réchauffement avec un impact sur les émissions de GES par les micro-organismes.

Le permafrost désigne les sols perpétuellement gelés sur Terre (régions arctiques). Lorsque le sol est gelé en permanence, les activités microbiennes sont très ralenties et très réduites et il y a très peu de libération de CO2 dans l’atmosphère en raison de la très faible intensité de la respiration et de la fermentation des micro-organismes décomposeurs du sol. Le permafrost contient aussi des clathrates, des structures glacées qui renferment du méthane (CH4).

Si la température augmente, une partie du permafrost va fondre avec deux conséquences :

  1. La reprise de l’activité des micro-organismes décomposeurs de la matière organique qui va accélérer la décomposition des végétaux et libérer des quantités importantes de CO2 dans l’atmosphère.
  2. La libération dans l’atmosphère du CH4 piégé dans la glace qui va accentuer l’effet de serre et favoriser la fonte des glaces qui elle-même diminue l’albédo, amplifiant encore la température globale ; l’albédo étant la part des rayonnements solaires qui sont renvoyés vers l’atmosphère.

Les émissions de CO2 et de CH4 aggravent donc encore le réchauffement climatique selon une boucle de rétroaction positive.

Enfin, certains micro-organismes, les archées méthanogènes, jouent un rôle critique dans le cycle mondial du carbone en raison de leur capacité unique à produire, dans des conditions strictement anaérobies, du CH4, un puissant gaz à effet de serre. Les méthanogènes sont présents dans le rumen du bétail, les rizières et le fumier.

Des solutions basées sur micro-organismes pour une agriculture résiliente au changement climatique

La flore microbienne a vu sa densité et son activité microbiologique dans les sols impactées par l’agriculture intensive. Or on sait que le microbiote du sol joue un rôle dans la structuration des sols et la santé des plantes. L’analyse du microbiome des sols agricoles donne de précieuses informations sur leur productivité et les risques de maladie. Pour des cultures résilientes au changement climatique, outre la piste des plantes issues des nouvelles techniques génétiques, l’approche microbiologique est déterminante.

L’une des stratégies est d’encourager l’utilisation de biofertilisants, qui contiennent des micro-organismes vivants ou inactifs qui peuvent favoriser la croissance des végétaux en augmentant leur tolérance aux conditions défavorables du sol et de l’environnement ou en améliorant leur capacité de stockage de nutriments (source FIBL(7)). Ces biofertilisants aident les plantes à mieux résister aux conditions climatiques extrêmes, comme la sécheresse ou les hautes températures, sans polluer l’environnement, contrairement à certains pesticides chimiques.

Certaines espèces de micro-organismes ont la capacité de réduire la quantité de gaz à effet de serre, comme le méthane et l’oxyde nitreux, deux puissants GES.  Les bactéries fixatrices d’azote utilisés dans la formulation de biofertilisants sont par exemple très utiles pour réduire les apports d’engrais azotés minéraux (amplificateur de la production de N2O). Certaines souches de bactérie non dénitrifiante possédant des activités N2O reductase plus élevées sont susceptibles de réduire la production de N2O des sols(8).

De même les bactéries métanotrophes consommatrices de méthane sont étudiées pour atténuer les émissions de méthane dans les environnements fortement concentrés comme les décharges et les zones humides (rizières, tourbières..). Leur intérêt s’est accru ces dernières années en raison du potentiel de transformation du méthane en bioproduits de valeur comme des biopolymères, l’éctoïne, des acides organiques, des protéines microbiennes, des acides gras et des lipides, au sein de bioréacteurs(9). Les progrès récents en génomique, en physiologie et dans les techniques de génie génétique des méthanotrophes ouvrent la voie vers la production de métabolites secondaires et non natifs d’intérêt.

Pour une bonne santé des sols, il convient aussi de dépolluer les sols contaminés par des procédés industriels ou des produits de consommation susceptibles de libérer des produits chimiques toxiques constituant une menace sérieuse pour la sécurité alimentaire. Pour résoudre ce problème, il est nécessaire d’accélérer le rythme de restauration des terres agricoles perturbées. La bioremédiation est un traitement efficace contre la pollution des sols agricole (hydrocarbures, le pétrole, les métaux lourds, les pesticides, les colorants…). Elle repose sur la capacité des micro-organismes à éliminer les polluants, notamment grâce à leurs enzymes qui leur permettent d’utiliser les contaminants de l’environnement comme nourriture. Aujourd’hui, grâce à des micro-organismes issus du génie génétique, les capacités de dégradation peuvent être améliorées, englobant une plus large gamme de contaminants chimiques.

La séquestration du carbone par les micro-organismes

Les sols contiennent trois fois plus de carbone que l’atmosphère et jouent à ce titre un rôle majeur dans la lutte contre le changement climatique(10).

Saviez-vous qu’ il y a plus de microbes dans une cuillère à café de sol que d’habitants dans le monde ? Les scientifiques ont découvert que les communautés microbiennes stockaient beaucoup plus de carbone dans le sol qu’elles n’en libèrent via leur métabolisme.  En favorisant la décomposition et la stabilisation de la matière organique du sol, les micro-organismes aident à piéger le carbone dans le sol, réduisant ainsi la quantité de dioxyde de carbone (CO2) libérée dans l’atmosphère. Les micro-organismes fongiques sont dans ce sens précieux. Une récente étude(11) a ainsi estimée que les champignons mycorhiziens, dont le rôle est crucial dans la santé des sols et la croissance des plantes, stockaient dans le sol 36% des émissions de combustibles fossiles.

De nombreuses recherches se focalisent également sur le développement de techniques de séquestration du CO2, mais également de son valorisation grâce au potentiel des levures et des bactéries.

La séquestration du CO2 utilisant des micro-organismes comme catalyseurs présente le double avantage :

  1. D’être une approche verte et durable pour réduire le réchauffement climatique.
  2. De pouvoir simultanément produire des produits chimiques à valeur ajoutée, des biocarburants ou des bioplastiques par exemple.

Dans cet article intitulé Ingénierie des micro-organismes pour une séquestration améliorée du CO2, Guipeng Hu et al. discutent des avancées récentes dans l’amélioration de la fixation du CO2 par les micro-organismes et la réduction de la libération de CO2 par les micro-organismes(12).

En utilisant des stratégies d’ingénierie métabolique, l’efficacité de la fixation du CO2 peut être augmentée à la fois chez les micro-organismes autotrophes et hétérotrophes. En même temps, la libération de CO2 peut être réduite en réorganisant le métabolisme cellulaire pour améliorer la conservation du carbone.

En conclusion, face aux perturbations anthropiques et climatiques actuelles, comprendre et exploiter le potentiel des micro-organismes apparaît comme une voie cruciale pour développer des stratégies de mitigation du changement climatique et de restauration des environnements dégradés. Les avancées en biotechnologie, notamment l’ingénierie métabolique et génétique, offrent des perspectives prometteuses pour améliorer la résilience des systèmes agricoles et la santé des sols, tout en contribuant à une séquestration plus efficace du carbone. Il est essentiel de continuer à soutenir la recherche dans ce domaine afin de mieux prévoir et gérer les impacts futurs du changement climatique, tout en valorisant les fonctions écologiques vitales que les micro-organismes remplissent sur notre planète.

Sources :