Le microbiote du sol au cœur de l’agriculture de demain.

Foulé, piétiné, labouré, le sol est pourtant source de vie. Le sol est un milieu vivant dans lequel évoluent de nombreux organismes essentiels dont l’importance a longtemps été méconnue et sous-estimés. Bien que gardien de la santé et de la croissance des plantes, ce microbiote a été mis de côté et sous-estimé dans le modèle agricole de l’agriculture intensive. Aujourd’hui, alors que la fertilité des sols est dégradée et menacée, il revient au centre d’une culture régénérative et revitalisante, progressive et capitale, qui prend en compte l’écosystème de croissance de la flore. 

 

A l’instar de l’intestin, le sol contient un microbiote riche, diversifié, qui fait partie intégrante du concept « One Health ». C’est un réservoir de biodiversité qui contient 26 % des espèces connues sur terre, et 60 à 90 % de la biomasse vivante et morte sur la planète. Il est indispensable au cycle de la matière organique sur Terre. Le sol nourrit les plantes, contribue au stockage du carbone, retient les eaux de pluies et de ruissellement. Le microbiote du sol s’avère ainsi être un facteur incontournable pour faire face aux enjeux environnementaux et sanitaires que nous rencontrons aujourd’hui.  

 

Le graal du sol fertile  

Comme le dit si bien Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris : « Le sol est le début de tout. C’est une couche nourricière qui régule le reste du vivant. » En commençant par les plantes. Un gramme de sol contient 1 milliard de bactéries, de 100 000 à 1 million d’espèces différentes de champignons, d’amibes, de collemboles, d’acarien et de virus unis en un vaste réseau qui extrait et fait transiter minéraux et aliments essentiels vers le monde végétal, puis animal. 

Un sol fertile protège les plantes, assure leur nutrition, et sert de support pour les cultures, mais aussi pour la biodiversité, qui elle-même contribue à la dégradation et la transformation de la matière organique en éléments nutritifs assimilables par la plante. Le microbiote contribue également à la structuration des sols. Par la production de molécules organiques, les bactéries permettent la formation d’agrégats, encourageant l’aération du sol et le passage de l’eau, le rendant ainsi plus favorable au développement des plantes. 

La richesse du microbiote terrestre est devenue un indicateur de santé pour les plantes (1) (Saleem et al 2019). Des déséquilibres causés par des changements d’abondance des espèces microbiennes peuvent provoquer des maladies et une prolifération d’espèces pathogènes(2) (Adam et al 2016). Un microbiote du sol sain et prospère est, pour ainsi dire, indispensable aux plantes, pourtant il n’en est pas moins fragile.  

Aussi infini, inépuisable et profond que le sol puisse paraître, il est loin d’être immuable. Cette source riche et fertile, hébergeant une biodiversité du sol microbienne, animale et végétale vitale à la vie hors sol, s’appauvri aujourd’hui sous nos pieds. Les sols subissent de plein fouet les effets du changement climatique et de l’agriculture intensive.  

 

La déperdition de l’or brun 

Ne faisant, en réalité, que quelques mètres d’épaisseur, le sol est sujet à l’érosion,  

phénomène naturel qui résulte de la diminution des couches superficielles du sol et du déplacement des matériaux le constituant, sous l’action de l’eau, du vent, des rivières, des glaciers, ou de l’homme. Certaines pratiques agricoles déployées depuis la révolution agricole ont déclenché et/ou renforcé l’érosion des sols. Par exemple, des labours fréquents et notamment des labours profonds, perturbent les organismes du sol, réduisent le stock de matière organique (principale source d’énergie pour les habitants du sol) et bouleversent la structure, l’aération, la compacité, la texture, le pH ou la composition du sol, modifiant ainsi son fonctionnement. 

Les engrais et pesticides de synthèse d’origine pétrochimiques utilisés en trop forte quantité sont susceptibles de contaminer l’environnement et d’être toxiques pour la faune et la flore du sol. Leur application peut provoquer des changements importants dans la composition biologique des sols et de leurs fonctions, en conduisant par exemple à la disparition de certaines espèces sensibles et à la prolifération d’autres organismes adaptés. En France, malgré des politiques dédiées, le niveau d’utilisation des pesticides n’a pas baissé depuis 10 ans. Dans une étude pilote(3), des chercheurs ont démontré une présence quasi généralisée dans les terres arables d’une soixantaine de substances actives issus de pesticides, mais aussi sur des terrains n’ayant jamais été traités (Froger et al, 2023). 

Les terres et les sols de l’Europe sont soumis à diverses pressions, dont l’expansion urbaine, la contamination par l’agriculture et l’industrie, l’imperméabilisation des sols, la fragmentation des paysages, la faible diversité des cultures, l’érosion des sols et les phénomènes météorologiques extrêmes liés au changement climatique(4) (Agence européenne pour l’environnement, 2019). 

Aujourd’hui 70 % des sols en Europe, et un tiers des sols mondiaux, sont considérés comme dégradés et/ou en mauvaise santé. Dans les espaces agricoles, 80 % de cette dégradation a pour origine les pratiques agricoles intensives (5) (Richelle et Brauman, 2022).  

Perdre un sol est irréversible, décrit Selosse. « Un pays qui détruit ses sols se détruit. On est dans une situation d’urgence. Il faut reprendre conscience de sa richesse, de l’importance de la protéger pour notre autonomie alimentaire. Ce n’est pas parce qu’on peut encore faire pousser des géraniums qu’on peut nourrir l’humanité. »  

 

La revitalisation des sols et l’agriculture régénérative  

La clé de la vie, la matière organique, qui manque cruellement dans nos sols cultivés, peut cependant être favorisé et/ou réintroduit sur un temps long. Aujourd’hui cela passe par deux moyens : nourrir directement les plantes avec des alternatives aux engrais de synthèse ; ou alors utiliser 5 catégories de micro-organismes (bactéries champignons, archae, protistes, virus). Les végétaux et animaux sont consommés et décomposés par les micro-organismes du sol, puis sont transformés en nutriments disponibles pour les plantes. En effet, la matière organique une fois décomposée et transformée en éléments nutritifs assimilables, permet d’alimenter les plantes et de favoriser notamment leur croissance.  

Trop souvent, les approches culturales régénératives des sols se sont centrées sur la première méthode, se focalisant sur les besoins et les déficits des plantes en éléments nutritifs. Elles ont longtemps ignoré les écosystèmes en jeux et le rôle important des microorganismes support à leur développement. La productivité des communautés microbiennes prend aujourd’hui une place intégrante dans les stratégies de revitalisations(6) (Soong et al 2020).  

On observe ces dernières années un fort intérêt pour l’utilisation de pratiques agricoles qui prennent en compte le fonctionnement de l’holobionte(7) plante voire de l’écosystème, et pas seulement de la plante cultivée. Il s’agit de pratiques agroécologiques qui visent notamment à tirer bénéfice des interactions entre les organismes d’un champ, en particulier en maintenant un microbiote fonctionnel pour les cultures. En modulant la composition du microbiote des plantes et du sol, il est possible d’améliorer les fonctions essentielles à la survie des plantes, de soigner voire de prévenir les maladies et ainsi d’améliorer aussi bien la santé des plantes que la qualité du sol.  

Un microbiote du sol, lorsqu’il est en bonne santé, joue un rôle majeur dans le maintien de la santé des sols en contribuant à la structuration du sol – favorisant l’aération du sol et un passage de l’eau, et en permettant la libération des éléments minéraux dans le sol, les rendant disponibles pour les plantes.  

Rediversifier et revitaliser les sols, est une transformation longue et difficile, mais accompagnés, les agriculteurs y trouveront un bénéfice majeur. Un ajustement est possible, mais une vision globale et progressive est essentielle. 

 

Sources : 

(1) More Than the Sum of Its Parts: Microbiome Biodiversity as a Driver of Plant Growth and Soil Health – Saleem & al. – Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics Vol. 50:145-168  
(2) Controlling the Microbiome: Microhabitat Adjustments for Successful Biocontrol Strategies in Soil and Human GutAdam & al. – Front Microbiol. 2016 Jul 13;7:1079 
(3) Pesticide Residues in French Soils: Occurrence, Risks, and Persistence Froger & al. – Environ. Sci. Technol. 2023, 57, 7818−7827  
(4) Vers une gestion durables des terres et des sols – European Environnement Agency 
(5) La santé des sols : une approche holistique et transdisciplinaire – Brauman & al., UMR Eco &Sol, Montpellier – Science & Durabilité – Fiche n°72 
(6) Microbial carbon limitation: The need for integrating microorganisms into our understanding of ecosystem carbon cyclingSoong & al. – Global Change Biologie Vol. 26, Issue4 -April 2020 – Pages 1953-1961 
(7) holobionte : Le concept d’holobionte considère l’unité fonctionnelle composée des plantes et de ces microorganismes. Il promeut une approche holistique à la gestion des cultures et, plus généralement, à la vision du vivant.